Lecture

La Part de L’Autre

8 février 2010

La Part de l’Autre d’Éric-Emmanuel Schmitt

Et si Adolf  Hitler n’avait pas été, en 1908, recalé de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne? Cela aurait indéniablement changé sa vie… et celle du Monde…

Éric-Emmanuel Schmitt nous livre une biographie romancée d’Hitler en parallèle d’un récit unichronique d’Adolf H. (l’autre) et signe ici un roman vraiment audacieux : que se serait-il passé si Hitler avait intégré l’École  des Beaux-Arts comme il le souhaitait? Difficile pour nous, à notre époque, d’imaginer une autre histoire que celle qui s’est réellement déroulée. Pourtant la question de l’auteur est légitime. Et complexe. Comment réussir à imaginer cet Adolf H. qui réussit sa vie de peintre, qui vit à Paris, qui épouse une juive, qui n’approche jamais la politique…? Comment imaginer qu’avant d’être ce dictateur, Hitler ait pu être un homme banal, normal?

L’auteur nous démontre par cet ouvrage que chaque personne a en soi ces deux aspects de la personnalité (le Bien et le Mal), qu’il peut-être facile de tomber dans le Mal sans pour autant être monstre dès l’enfance, que tout est déterminé par les choix que feront ces personnes à un moment donné. Et ça fait froid dans le dos… Chaque décision, chaque interprétation peut tout faire basculer. Éric-Emmanuel Schmitt, philosophe de formation, nous force à réfléchir et appuie là où ça fait mal. Car en s’attaquant à Hitler, il prenait un risque. Mais il réussit un roman très bien écrit, qui nous pousse à sortir de nos retranchements pour avoir une vraie réflexion.

EES prend le parti d’écrire une biographie romancée, quoique bien documentée, sur Hitler et avance des théories sur son antisémitisme, sur la nature de sa haine. De cette manière, il le rend humain, ce qui est dérangeant. Mais c’est en faisant le choix de ce parti pris qu’il va ruer dans les brancards et remuer les consciences. C’est là toute la force de ce livre : on part d’un personnage, qui par un évènement extérieur, va prendre telle ou telle direction et mener sa vie de telle ou telle manière, tout en étant au départ une seule et même personne. L’auteur nous démontre bien que rien ne nous détermine à devenir ce que nous sommes, mais ce que c’est bien nous et nous seuls qui nous façonnons, par nos choix et les interprétations que nous faisons de nos échecs et de nos réussites.

C’est un vraiment un excellent roman que je conseille vivement. Rassurez-vous, on ne devient pas partisan nazi en lisant la partie sur Hitler, car bien au contraire Adolf H. est aussi humain et généreux qu’Hitler est froid et fou! A lire également, dans certaines éditions, le journal de l’auteur en postface dans lequel il raconte son parcours avant et pendant l’écriture de ce roman. On en apprend beaucoup et c’est intéressant.

Je voulais terminer par un extrait du livre où l’auteur s’exprime en son nom et justifie le choix de son sujet. C’est la toute dernière partie du livre, le dernier chapitre, dans lequel un enfant est emmené par ses parents au cinéma et où il découvre la Seconde Guerre Mondiale et les horreurs nazies : « Depuis ce jour […] il veut comprendre. Comprendre que le monstre n’est pas un être différent de lui, hors de l’humanité, mais un être comme lui qui prend des décisions différentes. Depuis ce jour, l’enfant a peur de lui-même, il sait qu’il cohabite avec une bête violente et sanguinaire, il souhaite la tenir toute sa vie dans sa cage. L’enfant, c’était l’auteur de ce livre. Je ne suis pas juif, je ne suis pas allemand […] mais Auschwitz, la destruction de Berlin et le feu d’Hiroshima font désormais partie de ma vie. »


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6 Comments

  • Reply La Vague « Lalydo's Blog 11 février 2010 at 8 h 13 min

    […] je n’arrête pas : Apocalypse, Le Rapport de Brodeck, Si c’est un Homme, Le Liseur, La part de l’Autre, La Vague… et ce n’est pas fini : j’ai d’autres livres sous le coude et […]

  • Reply Mona 22 mars 2010 at 21 h 08 min

    Je suis en train de le lire et je le trouve « passionnant » dans le sens où on a du mal à le lâcher mais quand même dérangeant… On a du mal à croire que ça a pu être vrai…

    • Reply lalydo 23 mars 2010 at 23 h 08 min

      C’est vrai qu’il est passionnant et dérangeant à la fois! C’est ce qui fait toute sa force!

  • Reply Douceur Littéraire 9 décembre 2011 at 23 h 59 min

    j’ai adoré ce livre, je l’ai lu il y a quelques temps maintenant mais il m’avait vraiment étonné!

    • Reply lalydo 10 décembre 2011 at 0 h 19 min

      Il est en effet très étonnant, il fallait oser.
      En regardant Apocalypse Hitler à la télé dernièrement, j’ai fortement pensé à ce roman. Je savais que l’auteur était bien renseigné sur le « vrai » Hitler mais je pensais qu’il y avait une part plus romancée. En visionnant ce reportage, je me suis rendue compte qu’il était proche de la réalité, ce qui a rendu cette histoire encore plus troublante.

  • Reply Monsieur Ibrahim Et Les Fleurs Du Coran | Lalydo's Blog 4 février 2013 at 5 h 01 min

    […] est à mettre entre toutes les mains!!! Eric-Emmanuel Schmitt, que j’ai découvert avec La Part de L’Autre, nous livre un excellent livre écrit comme un conte […]

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