Plus fort que la haine de Pascal Bresson et René Follet
Doug Winston, jeune noir vivant à la Nouvelle-Orléans dans les années 30, travaille en compagnie de son père dans une scierie. Sa force surhumaine lui vaut de faire le double de travail et son père cherche à le faire augmenter auprès du patron, le redoutable chef du Ku Klux Klan, qui lui fait connaitre son refus en le tabassant. Pour avoir osé le défendre, Doug se fait renvoyer et sa colère ne trouve pas de repos : il lui faudra se venger. Un homme lui donnera l’occasion de canaliser cette haine et de la mettre à profit, en pratiquant la boxe…
J’attendais ce nouvel album de mon ami Pascal Bresson avec beaucoup d’impatience! Sa première collaboration avec René Follet, L’Affaire Dominici (dont je ne vous ai pas parlé, honte à moi!) m’avait beaucoup plu et j’avais très envie de découvrir leur nouveau bébé.
Plus fort que la haine aborde un sujet très sensible, à savoir la ségrégation raciale dans le sud des Etats-Unis dans les années 30. Sur fond de racisme et de haine, l’auteur nous livre une histoire très forte, celle de la famille Winston rejetée et persécutée pour avoir voulu défendre un honneur, décidément bien difficile à acquérir dans cette région des Etats-Unis. Extrêmement documentée, cette bande dessinée défend de très belles valeurs et livre un récit émouvant et positif.
Le dessin de René Follet, au lavis, est non seulement magnifique mais il apporte au récit toute sa richesse et sa puissance. Chaque case est un coup de poing (sans mauvais jeu de mots) visuel qui donne vie à un personnage extrêmement attachant et profondément humain.
Seul bémol, la taille du récit. Avec un sujet aussi riche, on pourra regretter de lire une histoire condensée dans 50 pages, alors qu’elle aurait mérité d’être amplement plus développée et enrichie.
Une très belle lecture pour un beau devoir de mémoire, qui offre un message positif malgré la gravité du sujet. Une lecture utile et plaisante… tout est réuni pour un moment parfait!
Et pour en savoir plus sur cette BD, Pascal Bresson s’est prêté à une petite interview…
Pourquoi as-tu eu envie de traiter ce sujet ?
Ils sont arrivés au « Nouveau Monde », la chaîne au cou, les pieds entravés, réduits à l’état de sous-hommes, triés et traités comme du bétail sur les quais de débarquement avant d’être vendus !… Quatre siècles d’asservissement, de ségrégation, de violences, de souffrances ont suivi. Quatre siècles de combat pour reconquérir le statut d’être humain, imposer leurs droits, affirmer leur dignité… C’est un bon résumé complet pour « Plus Fort que la Haine »… L’histoire de la ségrégation raciale, l’histoire des noirs est sans doute l’une des plus tragiques de toute l’aventure humaine, et je pèse mes mots…Les esclaves ont contribué de façon essentielle à l’exploration et au développement du nouveau continent. Ils ont déboisé, construit, bâti, travaillé dans les champs et divers ateliers, lutté contre la puissance coloniale. Les « esclaves » noirs ont bâti la puissance et la richesse de l’indépendance Américaine. Ils se sont identifiés aux idéaux de la Liberté et d’égalité de la nation naissante. Ils ont cru aux rêves Américains. Et ce, depuis le début… C’est par cette réflexion que j’ai réalisé cette histoire et donné vie à Doug Winston, le personnage rebelle… Cet ado qui vit cette injustice et qui va canaliser toute sa violence, haine et injustice au travers du sport : la boxe. L’art noble… Dans « Plus Fort que la Haine », ces esclaves sont désignés successivement sous différents vocables. D’abord « esclaves », « gens de couleurs », « Negros », « noirs », puis par la suite des « Afro-Américains »… Au travers de ces pages, je leur ai donné le statut « d’Humains ». Chacun de ces termes serviront de jalons au fil de ce récit un peu sombre mais essentiel pour un devoir de mémoire…
As-tu effectué un gros travail de documentation en amont ?
Reconstituer toute une histoire tumultueuse dans laquelle défilent tous les bons et mauvais sentiments concernant la ségrégation, l’intolérance et le racisme ne fut pas simple en effet. Il m’a fallu me documenter sur le sujet en profondeur… En réalisant cet album, je pensais à mon mentor « Martin Luther King »… « Je fais un rêve aujourd’hui »… « Que la Liberté résonne du haut des cimes »… Quel personnage ! Un exemple de cœur. Un vrai message d’amour… Je me suis beaucoup mis dans sa peau pour écrire l’aventure de Doug Winston. J’ai travaillé sur divers documents, livres, analyses, essais pendant trois ans. Trois années de notes à remplir des tonnes de cahiers. Je voulais éviter « le pathos » surtout, mais être davantage dans le vrai, dans le reportage… raconter l’enfant, puis l’adolescent constamment confronté aux limites qui lui sont imposées par cette société de racistes à la Nouvelle Orléans, victime du Klu Klux Klan… Je dresse un tableau particulièrement puissant du Sud ségrégationniste et du fonctionnement de la société américaine de l’époque. L’époque des années 1930… Le jeune héros, Doug Winston, parvient à nous faire ressentir la façon dont cette société limite le développement de l’homme noir qui sans une volonté individuelle intègre un pauvre schéma qui lui est inculqué dès son plus jeune âge et finit par se donner lui-même la place que les Blancs ont eu du mal à lui donner… J’ai donné la parole au jeune noir Doug Winston, ce qui constitue un magnifique témoignage au récit. Condamné au silence jusqu’ici, grâce à cet album, il peut enfin sortir du silence…
C’est ta deuxième collaboration avec René Follet. Est-ce que cela a été une évidence de retravailler avec lui sur cet album ?
J’ai la chance de connaître René Follet depuis ma plus tendre enfance. C’est un homme que j’aime énormément. C’est difficile de lui dire, car il est de suite gêné. C’est un grand, un vrai. Quand je lui ai proposé « Plus Fort que la Haine », il a été très emballé par le récit de jeune noir. René déteste l’injustice, pour moi c’est un grand humaniste. Mais, je sais également au plus profond de moi-même, que sa participation est davantage liée à notre grande amitié. Le dessin de René Follet est plus percutant que le gauche de Doug (Rires). Il était pour moi le seul dessinateur à pouvoir rendre en image cette ambiance lourde, ce bayou, ces fortes personnalités… Rendre un milieu hostile, sauvage, une ambiance glauque avec pour toile de fond, la haine, la boxe, le jazz, les valeurs. René assure une nouvelle fois en donnant le meilleur de lui-même. Je lui suis très reconnaissant pour tout ce travail. Ça n’a pas été évident, mais regardez le résultat ! C’est magnifique. Un grand Maître pour chaque case…
Comment s’est passée votre collaboration ? Intervient-il dans ton scénario et toi dans ses illustrations ?
Dans un premier temps, je lui soumets le synopsis. C’est tout le résumé avec ses points forts de l’histoire… On en parle beaucoup. Il me donne une version, moi la mienne. Il valide ou pas. Ensuite, j’attaque tout le découpage de l’album case par case, les textes, dialogues, etc… Parfois, je lui envoie de la documentation, mais René possède déjà une large documentation. Il possède tout sur tout. C’est incroyable. Je réunis de mon côté toutes mes notes, je les réécris au propre sur ordinateur et je lui envoie par un lot de 10 pages. Ensuite, René réalise les brouillons, c’est à dire un travail poussé des pages pour voir si ça fonctionne, se donner une idée. On valide, on en parle encore. Après, c’est la mise au net, encrage et mise en couleur au lavis. C’est un vrai travail d’équipe. Ce que j’aime chez René c’est sa rigueur, sa justesse dans le détail… et jamais en retard dans la remise de ses planches.
Pourquoi ce choix du noir et blanc ?
C’est la méthode de travail de René… C’est son propre choix comme pour « L’Affaire Dominici »… Le lavis, le noir et blanc se marie bien avec le côté sombre de l’histoire. Nous avons l’impression d’être transporté de suite dans le passé aux côtés de Doug Winston, tant cette maîtrise, son dessin talentueux est réaliste…
Ce sujet passionnant aurait, pour moi, mérité bien plus que 50 pages. Pourquoi avoir choisi ce format ?
Je t’avoue, je suis un peu frustré aussi ! En effet, c’est le seul reproche que nous font les lecteurs une fois l’album terminé ! C’est tout simplement un problème éditorial ! Au départ, l’album devait faire un 46 pages ! Nous avons pu en rajouter quatre autres de plus ! Je suis frustré car l’histoire demandait davantage d’espace pour un aussi lourd sujet, aussi passionnant. Mais, je crois que l’éditeur s’est dit dès le départ (même s’il a aimé l’histoire) que c’était un album peu commercial, certainement difficile à vendre ! C’est dommage car c’est une belle réussite. Les lecteurs en parlent, c’est un vrai bouche à oreille. Nous avons également eu une bonne presse, de très bons éloges, c’est d’ailleurs la première fois que nous passons à la télé, c’est un album magique… Puis nous sommes heureux et fiers d’avoir pu aborder en BD des sujets aussi difficiles et toujours d’actualité comme : Le racisme, la haine, l’intolérance… C’était un exutoire pour moi cet album… Quand on a la chance de pouvoir s’exprimer par le support comme la Bande Dessinée, il fait être exemplaire, nous sommes des exemples, il faut donner un sens et des valeurs à son histoire…
Y a-t’il un sujet que tu aurais envie de traiter pour une prochaine BD ?
J’ai quelques beaux projets sur le feu, mais je préfère ne pas en parler tant que ce n’est pas signé. J’ai peu confiance ! Un jour, un éditeur m’a dit : « La BD ce n’est pas une famille, vous êtes tous en concurrence ». Certains auteurs m’ont fait de sales coups ! Lors des salons, on parle trop, la passion, l’enthousiasme fait qu’on se livre plus facilement auprès des autres. Mais quand une oreille traîne, ce n’est pas perdu pour tout le monde. On se fait piquer les idées assez souvent (Rires) !
Quelle est ton actualité et quels sont tes projets ?
Je suis actuellement en train de travailler sur deux séries : « Jean-Corentin Carré, l’enfant soldat » (Editions Paquet) avec Lionel Chouin, nous sommes sur le tome 2. L’histoire d’un jeune Breton de 14 ans qui se sauve de chez lui, change de nom et d’âge et part se battre sur tous les fronts en Champagne. Le plus jeune soldat français, le plus jeune décoré pour des faits d’armes… Une très belle histoire, j’en suis très fier… Puis je termine, le troisième tome de la série « Entre Terre et Mer » aux Editions Soleil Celtic, à paraître dès janvier 2015 (Cette série sera prépubliée dans le journal Télégramme de novembre 2014 à janvier 2015). Cette série, je la réalise avec mon ami Ewan Le Saëc, grand pro. On forme une belle équipe… Travailler avec des personnes de confiance c’est important. Il faut travailler avec des amis, avec de vrais professionnels. Si on se trompe de personne, on le paye cher, j’en ai fait les frais ! Une petite info, je travaille sur un projet avec mon très proche ami Geoffroy Rudowski… Ewan Le Saëc et Geoffroy Rudowski sont mes deux meilleurs amis dans ce métier…
Merci beaucoup Pascal!
Merci à toi Aurélie.
Une BD que je vous invite fortement à découvrir et à venir partager votre avis ici par la suite 🙂
16 Comments
C’est passionnant de découvrir le processus de création de cette Bd à travers cette interview ! Bises !
Contente que cette petite interview t’ai plu! Il y a un travail énorme derrière une BD, il faut le mettre en avant 😉
Bises
Merci pour cette interview ! On a tendance à oublier tout ce qui se cache derrière une BD, le travail qu’elle demande et les difficultés qu’elle engendre.
Et je note le nom de cette BD dans un coin de ma tête. Le dessin a l’air formidable et le thème très intéressant.
Merci à toi pour ton commentaire!
Je suis d’accord, on a tendance à oublier le travail énorme engendré. Ce métier est assez mal reconnu, et c’est bien dommage!
J’espère que tu passeras un bon moment en compagnie de cette BD 😉
Toutes les questions de devoir de mémoire me touchent beaucoup, surtout quand elles sont abordées par un auteur aussi sympathique et doué. Merci pour cette belle interview !
Pascal va être ravi de lire ceci, merci pour lui!
Bises
elle se trouve facilement ???
Oui, oui! Sinon tu peux la commander en ligne.
Bd qui a l’air bien prenante, intéressante et touchante…
J’aime que tu aies pu faire l’interview… On en apprend plus ! Merci !
Gros bisous
C’est bien de mettre en avant le travail effectué, on oublie souvent qu’une BD, ce sont des mois voire des années de travail pour un seul opus!
Gros bisous
Très intéressante cette interview, j’aime vraiment beaucoup les dessins en noir et blanc !
Merci! Les dessins sont vraiment extraordinaires, je t’invite à les découvrir de plus près.
[…] voir ou revoir ce qui s’est passé cette semaine sur le Lalydo’s Blog : – Plus fort que la Haine – Gourmandises Bretonnes – L’enchanteresse Forêt […]
Avec la triste actualité aux US en ce moment, cette BD rappelle un douloureux passé, qui a encore des conséquences. Merci pour cette découverte et le partage.
Et oui malheureusement, ce sujet reste toujours un peu d’actualité. Ecrire sur le sujet permet de pas oublier mais aussi de continuer à se battre…
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